«Retour des notes» …:Ne pas faire de la brise un tsunami meurtrier !


Les raisons qui conduisent aujourd'hui à la première mise en cause signifiante des modifications introduites par EVM sont multiples.


Pour faire écho au théorème de Tocqueville, il convient d'abord de relever que c'est quand une institution se réforme qu'elle devient la plus vulnérable et que ses adversaires se font les plus virulents. Ensuite, nous devons rappeler ce que tous ont pu constater in situ et ce que la SPV ne s'est pas lassée de répéter: l'absence de vision à moyen et long terme, le pilotage à courte vue ont conduit à agir dans l'urgence. Les replâtrages successifs ont fragilisé à l'excès un mur aux larges fissures. Enfin, l'absence de texte fondateur ou de déclaration «solennelle» qui aurait unis praticiens et parents autour du thème: «Le concept est clair, les objectifs sont fixés, mais ça va être difficile. C'est un rude chantier que nous attaquons et nous devons tous être convaincus du bien fondé des réformes», ont généré, en à peine trois ans, une perte de confiance grave qui conduit aujourd'hui à voir s'amonceler de lourds nuages sur EVM. Ce n'est, je crois, pas faire preuve d'un pessimisme exacerbé que de craindre que les choses risquent de ne pas en rester là.

Usés par des formations aux liens distendus, par un jargon pédagogique non dégrossi et condescendant, par les culpabilités nées de l'incertitude, par un contexte social détestable - on a pu voir renaître l'humour à quatre sous du style: «Quatre enseignants sur un banc égalent une année de vacances!», alors que quasi tous donnaient le meilleur d'eux-mêmes -, par un climat délétère d'incivilité rampante… bon nombre des collègues vont être tentés de jeter le bébé avec l'eau sale et attiédie d'un bain que tous ne désiraient pas prendre.

Creuser un sillon pour y semer le meilleur


Néanmoins, il me semble que nous devons garder la tête froide. Contre vents et marée, défendre ce que nous pensons être le meilleur pour l'élève et ne pas nous laisser séduire par des sirènes qui se révélerons vite n'être qu'obscènes poupées gonflables.

Le pari d'initier et ensuite d'ancrer des pratiques nouvelles à travers une approche différente de l'évaluation a paru à beaucoup d'entre nous bien risqué. Nous en payons aujourd'hui le prix. Je reste pour ma part convaincu que des pratiques modifiées, appuyées sur des attendus théoriques appropriés, doivent de fait induire une réflexion sur l'évaluation. Mais renverser le char ne veut pas dire que l'on renonce à labourer. Pour exemple, les nouvelles approches en mathématiques, dont nos collègues du primaire nous disent le plus grand bien, ne pourront vivre et développer leurs effets dans un système d'évaluation purement comptable et épicier (salut à toi pourtant qui défend la qualité face aux banals produits de grande surface!).

Pour le reste, il est juste de relever que le désarroi des parents doit interroger notre professionnalisme. Et que nous devons assumer les doutes émis sur la capacité de certains d'entre nous à évaluer les compétences de leurs enfants. Si l'on a pu voir naître, ici ou là, le soupçon de partialité ou de subjectivité, nous ne pouvons pas, d'un revers de main, renvoyer la critique avec mépris ou colère.

Si nous étions toujours solides, si par exemple, nous nous étions tous saisi du dossier d'évaluation pour un faire une vitrine éclairante de la progression - si on nous en avait laissé le temps, si on avait dégagé des moyens à la hauteur de l'ambition -; si nous avions interrogé l'évaluation formative pour la situer dans sa fonction première de pilotage des apprentissages; si nous avions refusé l'absurdité de conseils de classe dévolus à d'insensées séances de négociation sur la «page de gauche», si l'autorité avait écouté les praticiens responsables et les parents modérés, si…

Mais il n'est pas trop tard! Nous devons être fermes et ne pas céder sur l'essentiel. Rappeler inlassablement que les temps ont changé. Et que l'école que nous - parents et enseignants - avons suivie, et souvent subie, a laissé trop de sinistrés sur son passage. Que la logique du tableau d'honneur est inique. Et qu'en ce sens, il n'y a pas de honte à «situer l'élève au centre», mais que les apprentissages libérateurs y sont aussi, qui unissent et qui relient. Mais que les enseignants y sont aussi et que nous ne devons céder en rien sur nos conditions de travail. Mais que les parents y sont aussi, qui nous confient l'instruction des enfants et dont nous devons retrouver la confiance.

Plusieurs centres pour un même objet… Voilà une jolie situation-problème!


Jacques Daniélou