Edito de rentrée


« On n'en peut plus!1»
« Bonne année à tous!2 »


Participez donc à une assemblée générale d'association pédagogique vaudoise. Observez les réponses des collègues à un questionnaire officiel. Animez un bout de séminaire de formation. Engagez un débat sur les langues. Passez à l'impromptu dans une salle des maîtres…

Après quelques minutes centrées sur l'objet du débat, le cri est récurrent: «On n'en peut plus!».

Initiez un bout de dialogue avec une collègue du primaire. Elle vient de s'engager dans les nouvelles maths, elle suit une formation d'allemand; elle s'est inscrite à des modules sur la différenciation, sur la gestion des conflits ou sur l'évaluation - et tout est remis en question par une initiative opportuniste -; son équipe a engagé une démarche de supervision. Bientôt ce seront les nouveaux moyens en environnement et les séquences didactiques en français. Pour peu qu'elle lise la presse, à midi entre deux colloques et trois conseils de classe, elle reçoit un message plein d'espoir: on n'apprend plus grand chose à l'école, lieu de violence récurrente qu'on ferait mieux de confier à «l'entreprise» qui seule sait où sont les vraies valeurs. Tout ça n'est rien, on lui demande en plus de gérer deux élèves «différents» dans sa classe de 25 élèves! Et tout soudain de faire de l'accueil le matin, de la garderie le soir… peut-être d'assurer le contrôle du réfectoire de midi! Bientôt de préparer les plats?

Caricature? A peine! On pourrait encore évoquer le choix des objectifs par l'équipe, le décloisonnement, la définition d'un projet ou le suivi d'une promotion sous contrat… Et la prévention de l'incivilité…

Qui doit se sentir coupable?


Notre collègue se sent coupable, malgré tout: coupable de ne pas en faire autant qu'elle devrait, coupable de ne pas faire autant que son voisin. Coupable aussi d'avoir suivi les modules proposés, de s'engager à fond et de pas encore voir les fruits du travail accompli.

Rappelons-le - mais ça n'a rien à voir, n'est-ce pas? - en étant colloquée en 15-20, cette collègue qui débute ne gagne que 3735 francs par mois. Encore une chance de vivre seule et de ne pas avoir charge de famille! Encore une chance qu'elle ne revendique pas que sa formation continue puisse offrir des possibilités d'évolution réelle pour elle et ses collègues du primaire!

Les vrais responsables sont ailleurs. Ce sont celles et ceux qui nous brossent dans le sens du poil, qui déclarent haut et fort que l'on pratique le plus beau métier du monde. Ceux qui disent nous respecter, qui affirment haut et fort que nous sommes au coeur de la construction sociale, que sans nous tout s'écroule et que ça doit pas être facile tout les jours… Et qui coupent dans les budgets de la formation! Qui n'ont que les maxima à la bouche quand il s'agit des enclassements, quand encore ils ne menacent pas d'élever les normes! Ceux que l'absence de cahier des charges arrange, tant il fixerait les limites de notre engagement professionnel, mais qui s'empressent de créer des modèles pour l'appréciation de nos prestations.

Ceux qui attaquent l'école dans la presse ou les «profs» au comptoir du Café du Commerce.

Ceux qui ne veulent pas voir que tout menace de lâcher et qui surfent sur notre conscience professionnelle. Ceux qui estiment, par exemple, qu'il n'y a pas vraiment lieu de lutter contre la pénibilité dans le secteur de l'enseignement.


Aux décideurs qui n'osent pas choisir…à vous, collègues qui travaillez sans filet: Bonne et Joyeuse année 2001!

Et si cette année marquait un tournant et que l'on puisse un peu respirer. Une fois, comme ça, pour essayer. Pour que les culpabilités s'effacent ou s'éloignent, que l'on nous donne vraiment les moyens d'agir et d'atteindre les buts assignés par l'autorité! Et pourquoi pas faire une pause?

Jacques Daniélou